19 décembre 2005

Résistance multiverselle > R

On dirait un rêve. Déjà je suis une fille et en soi, c'est un signe de rêve assez remarquable. Je suis officier subalterne dans une armée de conscrits. Nous bivouaquons dans les locaux désaffectés d'une entreprise récemment ultramoderne, en compagnie de toutes sortes de civils, des vieux, des jeunes, des cassés, des roulants. Il règne une atmosphère de chaleur, presque d'humanité.

On me donne l'ordre de me rendre dans le hall d'accueil. Chercher une missive ou quelque chose dans le genre. L'attaque a lieu tandis que je traverse un pont tubulaire reliant deux murs de verre. Des hommes glissent du ciel, effroyablement silencieux. Cette extrême discrétion me paralyse ; j'ai l'impression d'être déjà morte. Je me cache un moment, puis je reviens sur mes pas, vite, aussi vite que possible. Donner l'alerte. Dans ma tête, je crois entendre à chaque seconde l'enfer qui se déchaîne.

Je cours à perdre haleine. Mais le silence s'éternise. C'est comme si le reste de mes compagnons avait été anéanti. Les nôtres n'offrent pas de résistance. Devant moi à environ cinquante mètres, une porte incendie pivote et vomit plusieurs paquets de civils affolés. Une cour nous sépare. Je leur fais signe de me rejoindre. Quelques uns m'aperçoivent mais leurs yeux semblent vides. Avant que j'ai le temps de faire un geste, une nuée de balles s'abat sur le sol. Tous tombent, tous.

Je ne suis parvenue à m'échapper qu'à la manière d'une souris. Mon arme est inutile. Je ne vois pas l'ennemi. Je m'accroupis plus loin au pied d'un escalier que descendent des hommes et des femmes hagards. Encore une volée de marches et ils seront à mes côtés. Un jet de flammes jaillit d'une brèche dans le mur, sur la droite, et enveloppe les deux premières silhouettes du groupe qui fondent sur place, lentement, sans cri. Ce sont les autres, derrière, qui hurlent.

Je fonce. L'arme au poing. Vers la brèche. Un nouveau jet en sort qui lèche la rambarde. Je me jette, sans réfléchir. Le combat est très bref. Le soldat, surpris, n'a pas pu se défendre. C'est un uniforme brun. Je récupère son lance-feu et je prends la tête du groupe d'éclopés. Il y a deux roulants et je me demande comment ils s'y sont pris pour descendre les marches. Par la peur, j'imagine.

Nous avançons péniblement entre les hangars. J'estime nos chances à : archi-nul. Quelques coups de feu crépitent au loin. On dirait plutôt des mises à mort. J'ai cramé deux bruns, des soldats qui riaient déjà de nous massacrer. Je les ai cramé jusqu'à la fin du réservoir. Nous avons repris notre marche. Il y a un gamin dans le lot, qui ne doit pas avoir plus de six ans. Il donne la main à un vieux et pourtant, ils ne semblent pas se connaître.

J'ai découvert au milieu d'un passage, sous une armature de poutrelles, un katana. Je savais que c'était un rêve ! Un katana n'a foutrement rien à faire dans cette scène. Je me suis saisie de l'arme blanche, à pleines mains. Pour résister. Jusqu'au bout. Se battre et résister.

A regret, la scène a fondu.

13 décembre 2005

Le vol de Salidar > R

L'homme se redresse, une fois de plus. Il s'imagine ailleurs, pour un instant, assis dans une chambre parfumée devant le miroir d'une coiffeuse, une pièce luxueuse où lui fait face un visage cireux, cousu de poils blancs. Son reflet de l'âge. Cette brusque montée de mélancolie lui arrache un sourire. Il ne sera ni roi, ni père, ni vieillard. Dans peu de temps, il sera mort.
Campé sur ses pieds, il peine à seulement tenir debout. D'ordinaire si légère, son armure est devenue une entrave à ses gestes. Une sueur âcre coule de son front et se mêle à la brume acide qui l'entoure, lui brûlant les yeux chaque fois qu'il s'efforce de les tenir ouverts. Son flanc droit, poisseux, reste le seul endroit de son corps qui ne soit pas une fournaise. A quelques pas de lui, un rire dément s'élève, un cri de victoire qui mue lentement en une litanie tout à la fois grave et stridente, marquée par un fort accent mulhandorien :
- Vois, Salidar ! Tes boyaux s'en retournent à la terre avant toi ! Ils sont pressés de connaître la saveur de mes épices, tes jolis boudins noirs. Sois sans crainte, humain ! Je les réserverai à des hôtes de marque.
A nouveau, le rire fuse, avant que son écho ne sombre dans un puits de haine.
L'homme est maintenant à genoux. Il tremble par longues saccades. Il ne sent presque plus ses doigts crispés sur le pommeau ciselé d'une longue épée dont la lame, couverte des symboles du feu, demeure pourtant terne et froide. Il sait que frapper est devenu inutile, que chaque blessure infligée à cet adversaire se referme aussitôt. Il sent sur lui l'haleine de la créature et s'étonne alors qu'il perçoit l'odeur entêtante d'une fleur. Une gentiane.
- Vois Salidar ! Tu verses tes dernières eaux. Tu es une catin qui accouche seule, à l'écart des siens. Pauvre guerrier ! C'est la mort qu'expulse ton ventre infécond.
L'homme replie sous lui ses jambes molles. Il lutte pour garder conscience, pour ne pas s'enfoncer dans ce corps qui se meurt. Le rire résonne, encore, au-delà de tout ce qui est humain. Il n'écoute plus. Dans un état second, il appelle un passé qu'il sait enfoui au plus profond de son âme. Ils viennent à lui sans qu'il attende, même une seconde, écartent le doute et repoussent loin de lui l'ombre du néant.
Il y a d'abord Akzat, la Montagne Blanche. Les autres se tiennent derrière, dans le souffle glacé de la steppe. On entend les pleurs d'Abazzi, la petite mère, les chants rauques de la vieille chamanka, l'odeur âcre du Feu des âmes. Puis c'est Ourzane qui se pose à son côté. L'homme sait que l'aigle comprend son souhait de ne pas aller sur le toit du monde. Il veut trouver ces pareils, ces étrangers qui portent son sang et que l'Arbre creux lui avaient supplié d'attendre. Les dieux veuillent que tu les rejoignes ! murmure la chamanka.
Le rire a fini par se taire. Ouvrant les yeux, l'homme croise le regard malsain du démon qui l'observe, intensément. Rendu inquiet par la quiétude de sa proie, le monstre ne prête pas attention à l'aigle qui s'incarne mystérieusement au seuil de l'éther.
Lorsque Ourzane déploie ses ailes, l'homme qu'on appelle Salidar le loup gris meurt dans le plus profond silence et la totale incrédulité de celui qui fut autrefois intendant de la déesse des tortures, Sakoul, Impérieux des abysses, démon des origines. Immortel.

Breuvage > P

A l'ami qui me confiait, il y a quelques jours, qu'il sent sa vie lui glisser des mains, je recommande qu'il la porte à la bouche.

Je viens d'hiver > G

La neige arrive, regarde ! On dirait un vol de parachutes. Les tuiles se cachent au fond des trous. Attends, tais-toi ! Ecoute ! Au loin... Une berceuse... C'est peut-être la première, l'air que chantaient les mères originelles pour apaiser la fusion des éléments.

La neige repose comme la mer repose.
Elle grise tellement il y a de blanc.

Pourvu qu'avec tout ça je sois
encore d'hiver, moi qui en vient.

04 décembre 2005

Choir > G

Coucher un mot endolori.