17 mai 2006

Ivadeh, mère de Til > R

Ivadeh est jeune, encore jeune, malgré l'âge, trente-trois années déjà, malgré les longs pleurs versés sur un amour passant, malgré la sollicitude, même rare, surtout rare, malgré la vie des jours comme les autres quand elle peine pour quelques seaux d'eau, deux oeufs et ce qu'il faut de légumes pour un bouillon, malgré le bonheur des autres qui quelquefois la transperce, malgré elle, car elle est mère avant tout et Til, son fils, lui a offert un songe ; il a dit : man, t'es si jeune que la terre t'a vue naître il y a treize ans, avant elle savait pas que tu vivais, tu étais trop légère, tu faisais pas le poids, c'est quand ton ventre m'a porté que tu as appuyé sur la terre assez pour qu'elle sache ton nom, Ivadeh, et combien tu lui es chère.

Trente trois ans pour les hommes et treize pour la terre, je donnerais cher au change, pense-t-elle en frappant le linge qu'on lui a confié ce jour sur la pierre du lavoir. Ivadeh n'est pas faite pour dormir seule, elle est encore la nuit une simple fillette assaillie de craintes et de visions terrifiantes. Mais le change n'est pas fait pour les lavandières.

Ivadeh vit sur les bords de l'Irs, dans une cabane de paille et de torchis. L'idée ne viendrait à personne de bâtir en dur en cet endroit où la rivière sape continuellement les efforts des maçons. Sauf peut-être à un thaumaturge, mais ça ne compte pas.

Elle se débrouille. Ils mangent, avec son fils. Til a grandi. Déjà, sur la place de Donge, on a donné un sobriquet à sa langue pendue. L'ensongeur.
Til l'ensongeur. Elle en est fière. Ca lui va, comme à son père, mieux déjà parce que lui savait le pouvoir des mots, elle y a succombé, et d'autres, tandis que Til sait la puissance de la parole.

Son fils est du pays, un pays où l'eau et la terre s'entremêlent.

Carreau de mosaïque 5-2