17 avril 2007

En attendant les Barbares > P

Aux rumeurs mauvaises, aux peurs qui poussent de leurs forces au pire.

14. EN ATTENDANT LES BARBARES

- Qu'attendons-nous, rassemblés sur l'agora ?

On dit que les Barbares seront là aujourd'hui.

- Pourquoi cette léthargie, au Sénat ?
Pourquoi les sénateurs restent-ils sans légiférer ?

Parce que les Barbares seront là aujourd'hui.
A quoi bon faire des lois à présent ?
Ce sont les Barbares qui bientôt les feront.

- Pourquoi notre empereur s'est-il levé si tôt ?
Pourquoi se tient-il devant la plus grande porte de la ville,
Solennel, assis sur son trône, coiffé de sa couronne ?

Parce que les Barbares seront là aujourd'hui
Et que notre empereur attend d'accueillir
Leur chef. Il a même préparé un parchemin
A lui remettre, où sont conférés
Nombreux titres et nombreuses dignités.

- Pourquoi nos deux consuls et nos préteurs sont-ils
Sortis aujourd'hui, vêtus de leurs toges rouges et brodées ?
Pourquoi ces bracelets sertis d'améthystes,
Ces bagues où étincellent des émeraudes polies ?
Pourquoi aujourd'hui ces cannes précieuses
Finement ciselées d'or et d'argent ?

Parce que les Barbares seront là aujourd'hui
Et que pareilles choses éblouissent les Barbares.

- Pourquoi nos habiles rhéteurs ne viennent-ils pas à l'ordinaire
Prononcer leurs discours et dire leur mot ?

Parce que les Barbares seront là aujourd'hui
et que l'éloquence et les harangues les ennuient.

- Pourquoi ce trouble, cette subite
Inquiétude ? - Comme les visages sont graves !
Pourquoi places et rues si vite désertées ?
Pourquoi chacun repart-il chez lui le visage soucieux ?

Parce que la nuit est tombée et que les Barbares ne sont pas venus
Et certains qui arrivent des frontières
Disent qu'il y a plus de Barbares.

Mais alors, qu'allons-nous devenir sans Barbares ?
Ces gens étaient en somme une solution.

Poème de Constantin Cavafy
Traduction de Socrate C. Zervos et Patricia Portier
Tiré de Cavafy, Oeuvres Poétiques, Imprimerie Nationale, nov. 1993