10 octobre 2012

Lettre à mes comparses et feu camarades socialistes qui ont une fois de plus voté oui à un traité injuste et injustifiable > P

Par souci de clarté, j'ai écrit cette lettre sous forme de dialogue imaginaire, de questions-réponses.

En voici le sujet : l'Assemblée nationale a adopté ce mardi par 477 voix contre 70 le projet de loi qui autorise la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l'Union économique et monétaire. Le fameux traité budgétaire européen.

Ce traité a-t-il été renégocié ? 
Non. Il s'agit du texte négocié par Merkel et Sarkozy, dont pas une virgule n'a été changé.


Le "pacte de croissance" négocié par Hollande fin juin 2012 change-t-il la nature et l'impact de ce traité ?

Sur la forme, le pacte de croissance est une négociation financière qui n'entretient aucun lien juridique avec le traité. L'association des deux est donc factice. C'est bien le traité et lui seul qu'a ratifié le Parlement français.

Sur le fond, le pacte de croissance est égal à environ 120 milliards d'euros. Sur ces 120 milliards:

  •  60 milliards proviennent de fonds structurels européens non employés (par définition, déjà budgétés)
  • 50 milliards sont des fonds de la banque d'investissement des PME innovantes, déjà engagés.
  • Solde 120 - 110 = 10 milliards d'euros.

La négociation de François Hollande le 28 juin dernier se solde donc par un gain réel de 10 milliards d'euros. À l'échelle européenne, il s'agit d'une somme excessivement faible, à comparer aux montants investis par l'Europe pour renflouer les banques (4500 milliards d'euros entre 2008 et 2011, voir plus pas).

La seconde mesure du pacte de croissance est la taxation de produits financiers, une mesure relativement légère qui était portée par Merkel et Sarkozy au G20 de Cannes en novembre 2011. Rien de nouveau, là encore.

C'est cependant au regard de cet apport ridicule (+ 10 mds d'euros) que le Premier ministre Jean-Marc Ayrault et le Président François Hollande déclarent qu'ils ont "réorienté l'Europe" vers la croissance (et qu'il fallait donc voter un traité qu'ils ont vilipendé 6 mois plus tôt). Le ridicule ne tue plus en France, du moins le ridicule de l'esprit.

"Bravo l'artiste !" : ce salut d'un commentateur politique (hier soir sur France 5) traduit bien l'état d'esprit général des éditorialistes sur le sujet. On salue l'illusionniste (car un artiste, aux yeux de ces gens, n'est pas un chercheur du vrai ou du beau, c'est un manipulateur, un faussaire) qui est parvenu à faire gober un Léviathan dans les bouches bées de parlementaires socialistes (sauf 12 courageux) et au final, dans le gosier des gens de ce pays.

En quoi ce traité est-il préjudiciable ?

En instituant la règle d'or, il fait mécaniquement porter sur les finances publiques un surcroît d'endettement dont l'origine est privée (voir ci-dessous : D'où vient l'énorme surcroît de dette ?). Ce mécanisme, associé au soutien constant que les Etats apportent aux institutions bancaires ("too big to fall"), grève l'avenir de nos sociétés et l'assujettissent aux prises de risque spéculatives des grandes banques.

En effet, les mesures d'austérité auxquelles conduisent ce traité reposent sur :
  1. une hausse des impôts
  2. une réduction de la dépense publique.
En période de récession et de diminution durable du pouvoir d'achat, les marges de manoeuvre fiscales sont limitées. En clair, l'association d'une croissance négative (inférieure à l'inflation) et d'une hausse fiscale ne peut conduire, au mieux, qu'à une légère augmentation des ressources provenant de l'impôt, sinon à une stagnation. On aura alors atteint un plafond de la fiscalité, c'est-à-dire une limite au-delà de laquelle toute hausse des indices entraînera une diminution de croissance et, au final, une diminution des ressources fiscales réelles.

Dès lors que le gouvernement aura épuisé les faibles marges fiscales qui demeurent et aura atteint ce plafond, il ne restera plus qu'une variable pour désendetter l'Etat : la réduction de la dépense publique.

Et c'est là l'objectif bel et bien néo-libéral de ce traité : la réduction de la dépense publique est une condition nécessaire à la privatisation des activités qui échappent encore, au moins partiellement en Europe, à la sphère marchande : la protection sociale, la santé, l'éducation, la dépendance, les transports, l'énergie.


Quels sont les ordres de grandeur entre ce pacte de croissance et les sommes destinées au renflouement des banques ?
  • 120 milliards pour le pacte de croissance, somme destinée à financer sur plusieurs années* des projets d'économie réelle (industriels, innovants, etc.), c'est-à-dire in fine des entreprises
  • 4500 milliards dépensés entre 2008 et 2011 par les pays européens pour re-solvabiliser les établissements bancaires européens
  • Rapport de 1 à 37 entre l'argent investi dans l'économie réelle et l'argent investi dans l'économie financière
(* les 120 milliards sont des financements de projet et ont donc une logique pluriannuelle, ce qui réduit encore leur valeur relative).

D'où vient l'énorme surcroît de dette ?

Je cite, car on ne saurait mieux dire, un extrait d'un communiqué de la Commission européenne datant du 6 juin 2012 :
"Afin d'assurer la continuité de services financiers essentiels pour les citoyens et les entreprises, les États ont été contraints d'injecter des fonds publics dans les banques et de leur accorder des garanties pour un montant sans précédent: entre octobre 2008 et octobre 2011, la Commission européenne a approuvé environ 4 500 milliards d'euros d'aides d'État en faveur des établissements financiers, ce qui équivaut à 37 % du PIB de l'UE. Si elles ont permis d'éviter des faillites bancaires et une désorganisation économique à grande échelle, ces mesures ont pesé sur le contribuable et grevé lourdement les finances publiques, sans régler la question de savoir comment gérer les grandes banques transfrontières en difficulté."

Ces 4500 milliards (un nombre qu'il faut évidemment réévaluer à la hausse aujourd'hui, soit un an plus tard) ont mécaniquement fait dévisser les finances de tous les états européens (le même mécanisme a eu lieu dans tous les pays de l'OCDE) à partir de 2008 comme le montre très bien l'infographie suivante, réalisée par le journal suisse Le Temps. En France, le surcroît de dette représente en engagement environ 25 points de PIB nominal (et un solde annuel qui est passé de 3,4 point à 7,9 point de PIB).

En clair, les banques, après avoir spéculé massivement sur des titres douteux, se sont trouvées avec des avoirs insolvables et, au bord de la faillite, elles sont obtenues des Etats diverses aides financières d'un montant inégalé, sous forme de prêts, de garanties ou de financements.

Les Etats n'ayant alors pas d'autres moyens pour produire ces financements qu'emprunter, ils empruntèrent ! Et ils empruntèrent auprès de ces mêmes banques au bord de la faillite (car les Etats n'ont plus le droit depuis le début des années 70 - 1973 en France-  d'emprunter à leur banque centrale). Et là, magie de la finance, des créances privées pourries et sans valeur furent transformées en créances publiques valorisables puisque les Etats peuvent, in fine, lever l'impôt pour les rembourser.

Hausse d'impôt que vient de décider le gouvernement Ayrault et ce qu'avait décidé avant lui le gouvernement Fillon (via la TVA sociale). Hausse d'impôt qui se révèlera insuffisante au regard des objectifs de réduction de dette, ce qui ne laissera d'autre choix que la réduction de la dépense publique et accentuera la privatisation de secteurs clé de notre société (dans un premier temps l'énergie et les transports, ensuite la santé, la protection sociale et la dépendance).


Est-il juste que les contribuables (particuliers et entreprises) payent ce surcroît de dette ?

À l'évidence, non. La loi du plus fort est toujours la meilleure.

Pourquoi un gouvernement socialiste valide-t-il une imposture financière faisant porter sur l'impôt une dette directement issue de sa spéculation financière ?

C'est une excellente question. Chaque fois que j'ai eu l'occasion de la poser à un de mes feu camarades socialistes, je n'ai eu que des réponses relevant de la morale : "il ne faut pas laisser cette dette à nos enfants" ou de la peur : "c'est ça ou la fin de l'Europe".

Il faut avoir en tête que l'idéologie social-démocrate (celle de la "2ème gauche") est aujoud'hui ultra-dominante au PS. Or, cette idéologie se refuse, par principe, à tout interventionnisme économique, se bornant à corriger les méfaits d'une économie devenue trop injuste ou néfaste pour le plus grand nombre. Ce positionnement, étrangement dogmatique, conduit les actuels dirigeants de la social-démocratie européenne à valider des choix économiques intenables et injustifiables. Ils n'hésitent pas à "demander des sacrifices" (notons que le sacrifice est un terme religieux) à leur population alors qu'ils n'en demandent aucun aux institutions financières qui ont plongé la planète dans un endettement public général. On est là au-delà du paradoxe. On est dans l'imposture.

Je pense par ailleurs que la plupart des responsables et ce, au plus haut niveau, ne comprennent rien aux mécanismes financiers des institutions bancaires. La logique de la valeur d'un prêt, donc de la valeur de sa signature et donc in fine de la valeur de l'argent (car l'argent est créé par prêt) leur échappe totalement par exemple.
Il est très difficile à un citoyen d'accepter l'idée que ses chefs politiques ne sont pas fondamentalement intelligents ou disons-le autrement, que leur intelligence n'est pas aussi lumineuse que ce l'on pourrait espérer. Cela remet tant de choses en cause dans l'organisation sociale des pouvoirs ! C'est cependant ma conviction et ma conclusion. Nos dirigeants ont des cerveaux bien faits pour gérer des systèmes relativement stables (la gestion d'une ville par exemple) et pour la conquête du pouvoir, ce qui demande surtout beaucoup de mémoire, une bonne logique et une personnalité égocentrique et solide, mais ils s'avèrent démunis, intellectuellement démunis, pour appréhender des systèmes fluides et complexes qui nécessitent une intelligence globale, intuitive et analytique. Or, la finance moderne est un système fluide et complexe. En fait, les cerveaux qui sont sélectionnés par les organisations, les écoles, les partis, les milieux d'influence, pour gouverner sont parfaitement adaptés pour faire ce que ces structures attendent d'eux : gérer. Pour le reste, la surprise est rare.

Quelle conséquence en tirer politiquement ?
Il m'en coûte de le dire, mais le socialisme est aujourd'hui incapable d'apporter une réponse adaptée à la situation économique et financière très grave de nos pays. On ne bâtit pas l'avenir en faisant payer au plus grand nombre les prises de risque spéculatives d'une infime minorité d'actionnaires, en ponctionnant l'économie réelle au seul profit d'une économie financière virtuelle. 

On ne bâtit rien de sain sur un mensonge.

Et personnellement, je n'associerai jamais ma parole et mes actes à un mensonge d'une si grande portée qu'il met en cause les fondements même d'un juste contrat social.

Dont acte. Je viens de quitter le PS.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Les Etats n'ont jamais emprunté en majorité auprès de leur banque centrale avant 1973 : http://blogs.mediapart.fr/blog/lechiffre/291111/les-fantasmes-du-financement-de-l-etat-par-la-banque-centrale-et-de-la-lo

Norbert Merjagnan a dit…

Cher Anonyme,

Les Etats ont toujours eu recours à des banquiers et grands argentiers pour se financer, et ce dès leur origine. Ce fut le cas de la France sous l'Ancien Régime, période pendant laquelle les conseillers des finances royales étaient bien souvent des prêteurs, pour leur plus grand profit.
La nouveauté avec la création de banque nationale, ce fut de pratiquer non seulement le prêt en dernier ressort (fonction de banque des banques) mais également celui de la gestion de la masse monétaire nationale. Dans leur fonction de banque en dernier ressort, les banques centrales se sont dotées de réserves en or qui leur conférait leur crédibilité financière. Cette valorisation a disparu avec la fin des accords de Bretton Woods et de la convertibilité du dollar en or en 1971. C'est à la même époque (mars 1973) que sont adoptés le système des changes flottants ainsi que l'interdiction faite aux Etats d'emprunter directement auprès de leur banque centrale. Et navré de vous contredire, mais cet ensemble de mesure a profondément changé la logique de l'endettement public et de la gestion des monnaies, jusqu'à la situation de titrisation et de cotation que nous connaissons aujourd'hui. Et quoi qu'en dise votre article d'Agoravox.

Norbert Merjagnan a dit…

Par ailleurs, il est fondamentalement injustifiable que les banques centrales, en tant que banquier en dernier ressort, prêtent aux banques à un taux très faible pour qu'ensuite ces banques prêtent à leur tour aux Etats à des taux qui dépendent en grande part de notations d'agences qui ont pour principal client... les banques !
Ne percevez pas l'incurie d'un tel système ?

Anonyme a dit…

Moi c'est la "social démocratie" qui me défrise : l'injonction de toute la droite européennes faite aux partis historiquement adhérents de la 2ème internationale DONC socio démocrates par définition est de devenir blairistes pour simplifier donc d'abandonner toute vélleité de réforme du "système" au nom du "réalisme" etc, bref on connait. Ceci n'est pas devenir social démocrate mais au contraire cesser de l'être. Sous certains aspect (sa base sociale par exemple) la SFIO des années 30 et la social démocratie européenne étaint beaucoup plus à gauche que les PS, SPD et autres PSOE d'aujourd'hui.
AB

Norbert Merjagnan a dit…

Entièrement d'accord avec vous, AB.

Pascal Gaillard a dit…

Merci de cette analyse factuelle et édifiante. J'ai fait lien vers votre article dans mon dernier billet publié sur mon blog " L'Europe nobélisée : une ambition de paix à réinventer".

Ping : http://www.pascal-gaillard.fr/?p=775

Norbert Merjagnan a dit…

Merci Pascal, pour le lien et votre commentaire. Je vois que nous avons des idées en commun. Continuons ce travail de désintoxication ! À bientôt.